Observation médico-légale d'un cas de Psychopathie sexuelle
DOCTEUR SIZARET
Médecin en chef de l'Asile d'Aliéné de Rennes
Séance du 2 Juin 1911
 
Bulletin de la société scientifique et médicale de l'Ouest Tome XX N°2 p 208 à 211

A la fin de l'année 1908 les journaux régionaux relatèrent l'arrestation d'un espion allemand à Brest. En outre, il fut établi que cet individu présentait dans sa conduite privée des particularités spéciales de nature à le faire inculper d'immoralité.

L'inculpation d'espionnage fut démontrée fausse, mais les faits d'immoralité nécessitèrent une instruction à la suite de laquelle, après diverses vicissitudes, notre inculpé fut condamné par le tribunal de Brest à six mois de prison. Il fréquentait de jeunes garçons de 13 à 18 ans, de morale très relâchée, catégorie d'éphèbes que les marins de certaines nations recherchent aussi bien en Orient qu'en Occident.

Dans des explications verbales ou écrites de l'inculpé j'ai vu que ce goût était nettement ancré chez lui depuis l'enfance et qu'il n'avait de plus grand plaisir que de subir la domination d'un sujet avec lequel il aurait des relations homosexuelles. Les avocats défenseurs de cet étranger me prièrent de leur donner une consultation et je fus invité à développer mon appréciation devant la Cour d'appel qui réforma la condamnation et relâcha l'inculpé, en raison de son état mental. Grâce à des informations que je pus prendre dans sa famille et vérifier au cours de mes entretiens avec lui, j'ai pu rédiger une observation assez détaillée.

Wilhelm V. B. est un garçon de 1m80 de taille, blond, aux yeux bleus, de constitution vigoureuse, de tempérament lymphatico-nerveux. Il est né en Allemagne, d’une bonne famille et a lui-même fait de hautes études. Il a environ 26 ans.

L'examen de la sensibilité cutanée révèle qu'elle est considérablement augmentée à gauche restant normale à droite. De haut en bas les deux moitiés du corps présentent nettement cette différence, qui se retrouve habituellement dans les névroses.

L'ouïe, normale à gauche, est affaiblie à droite. Au contraire, la vue, normale à droite, est très affaiblie à gauche: à 30 centimètres de distance c'est un brouillard.

Dans l'enfance il y aurait eu strabisme et ectopie du cristallin que le professeur Zimisch, de Bonn, a dû opérer.

Le goût et l'odorat n'offrent pas de particularité.

W. V. B. m'apprend cependant qu'il a un goût singulier (une pica, dit-il) pour rechercher l'essence d'amandes amères dans les fruits ou leurs noyaux.

Sa peau n'offre pas de troubles de la sécrétion sudorale. Le corps penche un peu à gauche dans la marche.

Il y a hémophilie, une simple piqûre saigne longtemps.

La tempe droite présente une cicatrice importante depuis la balle de revolver qu'il s'est tirée après son arrestation (il fut soigné un mois pour cela à Brest).

L'examen des organes génitaux nous montre une verge plutôt petite, un prépuce très flasque, des testicules petits, un scrotum très flasque. Le réflexe crémastérien est exagéré. Il n'y a pas de déformation du pénis (il n'est ni en battant de cloche comme chez les masturbateurs, ni tordu sur son axe comme chez les pédérastes actifs).

Le corps de notre sujet est très velu à la partie antérieure comme à la partie postérieure.

j'ai appris que W. V. B. eut un peu de rachjtisme dans sa première enfance. I

a marché tard, à quatre pattes, se montrant turbulent, inquiet même "la nuit, quoique fort intelligent longtemps

A 4 ou 5 ans il a eu la scarlatine et présenta de la bouffissure avec œdème généralisé pendant un certain temps.

A 6 ans il eut la diphtérie et fut encore très malade.

A 14 ans, abcès froid du cou.

Enfin il a eu la fièvre typhoïde à 25 ans et c'est après sa convalescence qu'il revint en France. Sa fièvre fut soignée du 16 août au 24 septembre 1908 à Iéna, dans une clinique.

Comme autres renseignements, j'ai appris qu'il a des frères et sœurs bien portants, que sa mère est née en Angleterre, que son père vit depuis longtemps séparé.

Parmi les détails de sa première enfance, je recueille celui-ci: à l'âge de 5 ans, comme son institutrice lui montrait une image représentant de petits mousses que poursuivait un crocodile; dévorant l'un d'entre eux, la vue des pieds nus de ces enfants lui avait donné une sensation indéfinissable, sorte de frisson voluptueux ,auquel se mêlait le désir de souffrir comme ces Jeunes enfants.

Cette sensation, de l'ordre de celles que l'on observe chez les dégénérés, est propre aux psychopathes sexuels congénitaux ; c'est un mélange, de fétichisme et de masochisme.

W. V. B. a depuis l'âge de 10 ans éprouvé un goût spécial pour les fréquentations plutôt masculines. Il fuyait la société, surtout les bals. Il aimait, dit-il, avoir un camarade plus fort qui le commandait, le brutalisait au besoin. De bonne heure il fut initié à la masturbation par un valet.

Ses études finies, il entra dans une école militaire, aux Cadets de Postdam. Là un camarade auquel il s'était étroitement attaché le força à un acte absurde dont les conséquences prévues indiquaient un asservissement total de W. V. B. aux tyranniques fantaisies de son ami. Il dut aller de nuit barbouiller de minium une statue particulièrement révéré~; il fut dénoncé, cruellement châtié et forcé à une pénitence publique. Il souffrit avec joie cette épreuve imposée par l'amant'. Voilà bien encore un fait de masochisme.

Puis W. V. B. se mit à voyager, en Italie, en France. Il a continué (le mettre son plaisir à fréquenter des éphèbes de 13 à 18 ans. Il m'a déclaré qu'il ne cherchait jamais à corrompre ses jeunes amis, sans paraître attacher de l'importance au danger de telles relations. « Je suis ange avec les anges, dit-il,mais cochon avec les cochons. » Quoi qu'il en soit, on ne peut nier être en présence d'un anormal, disons le mot, d'un inverti, puisque seule l'homosexualité a de l'attrait pour lui.

W. V. B. m'a dit que yers l'âge de 15 ans un magnétiseur allemand l'avait reconnu comme un sujet éminent pour l'hypnotisme. Il s'est complu à des recherches dans les archives de sa famille et nous a conté avec satisfaction les traits suivants:

Vers l'an 1413 un de ses arrière-oncles était prélat et à un Concile se fit remarquer par la beauté des jeunes garçons, véritables mignons, qui le suivaient comme pages.

Vers 1660 il eut un autre ancêtre connu comme sodomite.

Sous Frédéric le Grand un autre de ses aïeux était page favori de ce monarque débauché et, bien que de petite noblesse, il fut fait chevalier de l'Aigle-Noir, ce qui indique, parait-il, une faveur singulière. Voilà l'es titres ancestraux qu'il cite en en tirant vanité.

W. V. B. est doué d'une intelligence cultivée; il est très poli, de bonnes manières, il est très timide, pâlit ou rougit comme une fillette; comme la femme il a un goût prononcé pour la toilette, les couleurs voyantes et surtout les bijoux: il en aurait acheté pour 60.000 francs, parait-il.

Pour apprécier enfin, au point de vue de sa mentalité, W. V. B., rappelons que le professeur G. Ballet, à la page 56 de son Traité des Maladies mentales, déclare que « la fièvre scarlatine comme la fièvre typhoïde créent une perturbation organique; elles peuvent éveiller la prédisposition nerveuse chez les héréditaires ou occasionner l'apparition des accidents névropathiques ou vésaniques auxquels expose cette prédisposition. » 

Avec une prédisposition antérieure, de par l'altération toxique des éléments nerveux, il peut y avoir un état longtemps durable d'affaiblissement psychique avec l'aboulie spéciale aux psychasthéniques. On peut, même dans le cas le plus favorable, douter que le sujet ait recouvré l'intégralité de son moi pensant et agissant consciemment. C'est ainsi que je puis expliquer son défaut de résistance aux actes réprouvés par la morale et la législation.

Le cas de ce malheureux est directement superposable aux cas décrits par le professeur Moll, de Berlin, et le professeur Krafft-Ebing, de Vienne.

Comme le dit ce dernier: 1° chez les congénitaux, le sentiment homosexuel vient en première ligne et domine la vita Sexualis; il apparaît comme une satisfaction naturelle et prédomine aussi dans les songes de l'individu.

2° Le sentiment hétéro-sexuel naturel n'est qu'un épisode de hasard, le sujet se satisfaisant ainsi quand il ne le peut autrement. Le pronostic de ces affections est défavorable.

Le même Krafft-Ebing ajoute (p. 506 de la Psychopathia sexualis) que la masturbation mutuelle se retrouve de préférence dans l'inversion sexuelle native.

A l'audience de la Cour d'appel, W. V. B. comparut en habit, en gants et cravate blancs, comme un officier il à parade. Il présenta enfin pendant les débats des tics de physionomie, bien spéciaux aux dégénérés, faisant partie du cadre de leur symptomatologie et que je vis apparaître sans surprise, bien que ne les ayant pas observés au cours de mon examen. Ils confirmèrent mon appréciation que j'eus la satisfaction de voir partager par les magistrats.

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